Nous avons tous entendu au moins une fois dans notre vie ce nom… Tarifa. Pour autant on ne le situe pas toujours très bien… Tarifa ? C’est où ? Au Maroc ? En Espagne ?
En Espagne ! Avec un tel air Andalou que les réminiscences de l’occupation mauresque se hument partout : dans l’air, les rues, sur les magnifiques plages de sable tournées vers l’Afrique, justement…
Tarifa a d’abord été connue des « windsurfers », cité du vent, le Levente et l’Oeste principalement, avec un temps idéal, que les fans de planche à voile ont vite colonisé, sûrs d’y trouver quasiment toute l’année des conditions idéales et un ciel bleu. L’eau y est froide, surtout pour des Méditerranéens, car Tarifa est située du côté océan Atlantique du détroit de Gibraltar. Entre les forts courants marins, les vents permanents et la température de l’océan la combinaison est de rigueur, même en plein été, si l’on souhaite séjourner longtemps dans l’eau !!
Puis, victimes des modes changeantes, les voiles triangulaires des planches qui filaient sur l’eau comme des flèches argentées ont été remplacées par d’autres, en forme de parachute rectangulaire : celles des fameux Kitesurfs.
Quand on arrive sur la plage le matin, ce sont d’abord les panneaux d’écoles de Kite qui étonnent. Les voiles ne sont pas encore en l’air, chacun monte son aile, les moniteurs au look de surfer dispensent leurs conseils. Avec plus de 80 écoles sur Tarifa il y a encore un an, elles ne sont plus qu’une quarantaine aujourd’hui en raison d’une législation espagnole endurcie afin de mieux encadrer la formation des moniteurs.
Stages et diplômes sont maintenant obligatoires… En définitive mieux pour le consommateur, car le Kite reste un sport qui peut vite devenir dangereux, même pour des pratiquants aguerris. A plus forte raison donc pour des débutants.
Puis, l’heure avançant, et le Kite agissant vite comme une espèce de drogue sur les pratiquants, les petites silhouettes frénétiques s’agitent de plus en plus, trottinant, voire courant autour de leur matériel, toutes à leur hâte d’envoyer en l’air leur aile. Et vite, vite, d’aller enfin glisser sur l’océan…
Bon, ça, c’est la théorie. Avant, il y a… l’avant ! L’apprentissage, quoi
Ça a l’air facile, ces types et ces filles qui se laissent glisser d’un air nonchalant, une main trempée dans l’eau, l’autre posée avec décontraction sur le bout de truc-palonnier-tire ficelles qui les relie à leur voile multicolore, tout là-haut, à près de 20 mètres au dessus d’eux… qui arrivent droit sur la plage, décrivent une courbe gracieuse laissant un sillage magique derrière eux, pour repartir de plus belle et ne devenir qu’un point sous une tache orange, bleue, rouge transpercée par le soleil.
Revenons à la réalité : « C’est quand qu’on fera pareil, nous ? » « Ben… ça dépend de vous… peut-être à la fin du stage (4 jours – 5 heures par jour) vous arriverez à tirer quelques bords… Si les conditions de vent se maintiennent… Et si vous n’êtes pas trop mauvais… »
Bon, le look cool décontracté, bronzé, les cheveux décolorés par le soleil, les abdos dessinés et des pecs d’acier… ce n’est pas pour ce coup-ci… Surtout !! Il y en a qui partent de loin… Mais la patience et le professionnalisme des profs, la rigueur de l’école –tout en restant décontractée- feront quand même des merveilles, pas sur les abdos et les pecs… – là, il faudrait plutôt voir du côté de Lourdes – mais sur l’évolution de la pratique du Kite, OUI.
D’abord, les règles de sécurité et il y en a quelques unes à ne pas négliger. La partie de glisse branchée peut vite se transformer en cauchemar voire en accident grave ou mortel. Un cerf-volant, c’est très simple. Vous tournez le dos au vent. Vous regardez le ciel au dessus de vous. Tout l’arc de cercle qui part du sol à votre gauche exactement perpendiculaire passe au dessus de votre tête et va au sol à votre droite exactement perpendiculairement aussi, s’appelle le bord de fenêtre. La zone située dans votre dos entre ce bord de fenêtre et la direction d’où vient le vent ne permet pas à votre voile de voler. Sur la limite précise de ce bord de fenêtre, juste au dessus de votre tête, votre voile se tient en l’air, statique, facile, sans puissance.
Dès qu’elle redescend à droite ou à gauche, elle a tendance à filer dans le lit du vent par rapport à vous et prend alors de la puissance. Peu si vous arrivez à la maintenir près du bord de ce fameux arc de cercle, de plus en plus quand elle s’éloigne de vous sous le vent.
De plus en plus… Voire beaucoup, énormément de puissance, surtout si vous avez fait le choix d’une voile trop grande par rapport à la puissance du vent. D’où les accidents… Le record du monde de hauteur de saut en Kite Surf est de plus de 30 mètres, soit un immeuble de 10 étages.
Bien sûr, même en cas de fausse manœuvre, vous ne monterez pas à une telle hauteur et ne retomberez pas de si haut. Mais juste quelques mètres, avec la vitesse prise et emporté comme un fétu de paille, votre atterrissage peut au mieux faire rire les touristes sur la plage, au pire se finir très mal, surtout si vous atterrissez sur un obstacle.
Donc, équipement de base du débutant : combinaison – l’eau est froide, je vous rappelle, surtout quand on y reste à macérer de longs moments avec la voile qui flotte à la surface et vous traine au large parce qu’on a pas encore acquis la technique pour la faire redécoller dans l’eau, et que le bateau de sécurité a plusieurs « pinpins » comme vous à aller chercher-, gilet de sauvetage –moche, le gilet, moche-, casque –là, c’est vous qui êtes moche avec-, le harnais qui vous reliera à la voile, et le reste du matériel usuel.
Enfiler une combinaison épaisse par 35° au soleil, avec cette saleté de sable qui s’infiltre partout où c’est désagréable… Qu’est ce que je suis venu faire ici ? Je fais d’abord un sauna, puis je vais me faire peur, ensuite me cailler, me faire traîner dans l’eau au large avec ces saloperies de super tankers qui passent par centaines au milieu du détroit de Gibraltar….
Et puis… Et puis après avoir tout bien écouté, tout bien compris –ou presque-, debout sur la plage, cramponné à la barre, ce truc où viennent s’accrocher ces petites ficelles ridicules qui tiennent la voile et permettent de la piloter, le moniteur tient la voile sur le bord de fenêtre, posée verticalement sur le sable et la lâche. Et là, après quelques essais infructueux, votre voile décolle, vous la maintenez sur le bord de fenêtre, la faites glisser prudemment dans le lit du vent… Et c’est magique. Vous sentez la puissance du vent, vous la maitrisez, votre corps et votre esprit sont directement connectés à Éole. Bon, parfois, Éole est farceur… et la voile atterrit avec fracas, voire violence, au sol. Pour cette étape, comptez bien 5 heures…
Le lendemain donc, on recommence et puis, toujours sans planche, on va dans l’eau, histoire d’y maîtriser la voile. Le but est de se faire tracter par la voile, le corps dans l’eau, en dessinant des huit dans le ciel pour apprendre à jouer avec la puissance. Quand on est un peu loin, le bateau de sécurité vient vous chercher et on repart. L’étape suivante est, toujours dans l’eau, de s’allonger comme pour nager la nage indienne tout en étant tracté par la voile d’un bord puis de l’autre. ça s’appelle la nage tractée, indispensable pour revenir quand on a perdu sa planche ou pour la récupérer. Sécurité, je vous dis… Comptez bien 5 bonnes heures de plus…
Puis troisième jour, on chausse la planche. Celle ci est dotée d’ailerons de chaque côté, pour pouvoir aller dans un sens puis l’autre. Z’êtes goofy ou regular ? C’est votre sens inné pour mettre soit le pied droit soit le pied gauche en avant en premier. Encore un truc à savoir…
Arriver à chausser la planche dans l’eau, en flottant, avec la voile calée au firmament d’une main sur la barre mais qui ne veut pas y rester, l’autre sur la poignée au milieu de cette saleté de planche qui en plus flotte à peine, (non, vous ne monterez pas dessus vous réfugier si vous être crevé au large ou si un requin vous trouve un air de casse croûte acceptable), et ce satané gilet qui remonte dans vos narines pendant que le casque tombe sur vos yeux… C’est réellement un grand moment. C’est là que vous vous dites que vous en avez vraiment pour votre argent. Pas de doutes. Ils n’ont rien négligé. Comptez 5 bonnes heures de plus là aussi…
Quatrième jour, on recommence. ça va mieux. On arrive à se lever un peu, faire quelques mètres. Puis plouf, la voile à nouveau à l’eau. Le bonhomme aussi. Ou l’inverse : d’abord le bonhomme, la voile ensuite. Le résultat est le même : un bon moment pour réussir à refaire naviguer la voile dans le ciel et rechausser la planche. Mais on passe le cap, ce fameux cap à franchir. Enfin, certains mieux que d’autres… Mais c’est une autre histoire !
En tous cas, ce cap passé, c’est le bonheur. Le bonheur des sports de glisse, d’eau, de vent, de vitesse. Adrénaline garantie. Sentiment de liberté aussi.
Alors, à tenter le Kite ? Oui, définitivement.
Et pourquoi pas, quand on sera vraiment, mais alors vraiment très bon, on pourra peut-être voler au dessus de l’eau avec un kite à foil, ce dernier juste immergé et nous, glissant à un petit mètre au-dessus de l’eau…
Et la ville de Tarifa dans tout ça ?
Et bien, c’est un mélange de douceur de vivre, d’ambiance de fête mais tournée vers les sports de glisse – on fait aussi de la planche à voile et du surf à Tarifa. Surfs shop à gogo, bars branchés tendance « healthy » et cool, petits restos cachés dans les ruelles ou en bord de plage, mais rien de surfait, nulle part. A cent lieues des ambiances « bling bling » de Saint-Tropez et de la côte d’Azur, Ibiza ou autres coins dénaturés et saturés par une clientèle de touristes qui vient traîner son ennui et se montrer devant les mêmes gens que ceux qu’ils fréquentent tout au long de l’année.
Le soir, heure espagnole oblige, on mange tard, les ruelles, les places et les terrasses de restaurants sont pleines d’une foule décontractée, joyeuse, qui fait la fête sans exagération, dans une ambiance plutôt saine. Quatre ou cinq jours sont éreintants pour les apprentis « kiteurs », mais loin d’être suffisants pour tester tous les bons petits restos qui se comptent par dizaines.
Au loin vers l’Ouest, le rocher de Gibraltar, nimbé de brume. En face, de l’autre côté du détroit, si près que ça en est troublant, les montagnes des côtes Marocaines le jour, les lumières de la côte la nuit…
L’architecture du cœur de ville est bourrée de charme, on s’y promène avec délice. Il y a un bien un peu de shopping à faire, mais ça n’est pas non plus envahi par les boutiques à touristes collées les unes aux autres. Authenticité… Liée à l’histoire de ce lieu, passage obligé des migrations humaines depuis des millénaires, ou liée à la population de touristes plutôt sportifs et nature qui la fréquente ? Probablement un peu des deux… Alors, pourvu que ça dure !!!
Et si vous avez le temps et que le cœur vous en dit, une petit tour au port de Tarifa, et hop, une heure plus tard vous êtes au Maroc pour une autre escapade d’une journée ou plus…
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Texte & Photos : Christophe Derré