l'équipe de France Nacra 17

Foiling in love… avec l’équipe de France Nacra 17

Voler sur l’eau, voguer deux à trois fois plus vite que le vent est devenu le nouveau graal de la voile sportive. En quelques années, la folie des foils a pris une ampleur sans précédent. Aujourd’hui, tous les bateaux de course à la recherche de performance, du grand multicoque océanique au catamaran olympique, sont équipés de ces plans porteurs. Rencontre à La Grande Motte avec l’équipe de France de Nacra 17, en stage au Centre d’Entraînement Méditerranée, récemment labellisé Pôle France engins à foils.

S’affranchir de l’apesanteur ! C’est le rêve d’Icare et celui, aussi, de quelques designers qui imaginent depuis des décennies des moyens d’aller plus vite sur l’eau. « Le but est de se libérer des forces archimédiennes, de réduire complètement la friction de l’eau sur les coques (et donc la traînée), la résistance provenant des vagues, le tangage, pour au final aller plus vite, poursuit le patron du cabinet VPLP, précurseur en la matière. C’est un système vertueux qui fonctionne au carré de la vitesse. Quand tu doubles ta vitesse, le foil porte quatre fois plus ».

Un rêve de plus d’un siècle

Les expérimentations d’hydrofoils par quelques passionnés «géotrouvetouts» (dès la fin du 19e siècle) et mêmes, celles très sérieuses de l’US Navy pour ses bâtiments de guerre, ne datent pas d’hier. Le concept prend de l’essor dans les seventies au moment de la création du WSSRC (World Sailing Speed Record Council) et des semaines de vitesse de Weymouth ou Brest, où de drôles d’engins parfois bricolés dans les garages tentent de battre des records sur 500 mètres, à l’image du bien-nommé « Icarus », un Tornado à foils. Pour décoller, il faut des bateaux légers et/ou capables d’accélérer rapidement. Des attributs propres aux multicoques, supports de prédilection pour voler sur l’eau.

« Le foil fonctionne comme un profil d’aile d’avion asymétrique. Ce profil génère une portance, une force vers le haut, qui soulage le bateau et le fait littéralement décoller » explique l’architecte naval Vincent Lauriot Prévost.

 

Mais pour passer du concept expérimental au développement d’une réelle pratique, il a fallu attendre quelques lustres. La force de frappe des grosses équipes de la Coupe de l’America dont les budgets permettent de réunir les meilleurs architectes, les meilleurs ingénieurs spécialistes de l’hydro et l’aérodynamisme, aidés par les meilleurs outils de calcul, de simulation, d’analyse de données et de performance, a été le déclencheur.

En 2013, les multicoques volants de la 34e Coupe de l’America ont créé ce nouveau standard, et entraîné dans leur sillage tout un pan de la voile sportive. Les bateaux olympiques ne pouvaient échapper à cette (r)évolution. Pour les J.O de Tokyo, le Nacra 17, catamaran olympique mixte, est donc désormais équipé de foils. Ces appendices insérés dans la ou les coques, souvent doublés de plans porteurs sur les safrans*, agissent comme des « monsieurs plus » : plus de vitesse, plus d’accélérations, plus de sensations, plus de technicité, plus de dépense physique et énergétique pour l’équipage et plus de risques de se blesser… Ils impliquent aussi de réapprendre à naviguer pour maîtriser l’équilibre précaire du vol, les bateaux évoluant désormais posés sur quelques centimètres carré.

Mi- mai, l’Equipe de France de Nacra 17 était réunie au Centre d’Entraînement Méditerranée, seul Pôle France «engins à foils» sur l’hexagone, pour une session d’entraînement intensive destinée à améliorer les performances au portant.

L’équipe de France Nacra 17 sur une balançoire en 3 dimensions

Moana Vaireaux, barreur de l’équipe de France Nacra 17 : « On arrive à voler dans des vents très faibles, entre 7 et 8 noeuds. Le pilotage, les réglages, tout devient différent. C’est une révolution pour nous et c’est super intéressant. Il faut plus d’agilité qu’avant, être plus rapide sur le bateau, plus mobile. Cela demande aussi énormément de concentration. Il faut être très réactif et engagé à bord».

C’est ce que confirme Manon Audinet, qui occupe le très sollicitant poste d’équipière de l’équipe de France Nacra 17: « L’objectif pour moi est de maintenir le bateau en vol le plus haut possible sans qu’il ne plante l’étrave et crashe. Je passe mon temps à courir de l’avant vers l’arrière des coques pour maintenir la stabilité de l’assiette (équilibre longitudinal) ». Billy Besson, barreur, quadruple champion du monde de Nacra 17 (ancienne version) : « L’équipage doit être très synchro. C’est un peu une danse dans laquelle on veut rester sur le point d’équilibre du foil, tout le temps, pour aller le plus vite possible. C’est plus exigeant qu’avant et plus physique. »

 

Pendant la semaine d’entraînement de l’équipe de France Nacra 17, le cardio-fréquencemètre dont sont équipés les navigants enregistre des records : des pulsations à 180 sur des périodes de 20 à 30 minutes. Physiquement, les athlètes doivent se préparer plus intensément pour gagner en force, en gainage et en cardio. Les vitesses de navigation élevées (des pointes à 26 noeuds, soit 47km/h) rendent aussi la navigation plus risquée en cas d’arrêt brutal dans une vague ou de chavirage. Casques, gilets d’impacts et mêmes combinaisons renforcées aux bras et aux jambes font désormais partie de la panoplie. « Le plus gros risque est de passer à l’eau et de se prendre le foil (dont le bord de fuite est acéré comme une lame) dans les chevilles ou les jambes, poursuit Manon. C’est arrivé cet hiver à nos partenaires d’entraînement danois, dont le barreur s’est gravement blessé. »

La récompense de tous ces efforts, ce sont de nouvelles sensations grisantes. Une expérience presque poétique. « On est comme sur un coussin d’air » commente Moana. «C’est pur. Tout est fixé en un point au niveau des foils. On bascule sur ce point de pivot en épousant l’ondulation des vagues. On est comme sur une balançoire en trois dimensions » relève Billy Besson.

Ces sensations, tous les coureurs avides de performances veulent y goûter.
Et notamment la jeune génération. Les foils sont donc en train d’envahir les plans d’eaux : petits dériveurs, multicoques, kitesurf mais aussi quelques engins à moteur… La glisse se réinvente désormais en apesanteur et génère de nouveaux champs de recherche et de développement. Car ce n’est qu’un début. Bientôt, mers et océans seront de vastes pistes de décollage.

 

* Safran : partie du gouvernail d’un navire constitué d’un plan vertical pouvant pivoter afin de dévier le flux d’eau sous la coque pour changer la direction d’un navire.

Repères
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Photos : Richard Sprang